Il y avait, posé sur les entraits retroussées de la charpente du grenier, des planches auxquelles nous avions interdiction de toucher. Elles nous faisaient diablement envie, pour satisfaire nos désirs de cabanes ou autres inventions en tous genres. S’en emparer, sans attirer l’attention de mon père, était du domaine de l’impossible. Quand bien même, tôt ou tard, il aurait fini par découvrir la forfaiture. Nous nous contentions de lorgner dessus comme sur une gourmandise interdite. Juste à côté, reposaient en paix les béquilles du grand-père ; celles-là même qu’il avait ramenées de cette maudite guerre que tout le monde se plaît à dire qu’elle était grande… Grande par son atrocité, certainement.
À en juger par la couche de poussière qui uniformisait l’ensemble, les planches semblaient avoir le même âge. Je soupçonne mon père de n’y avoir jamais touché. Ainsi, cela faisait plus de septante ans qu’elles attendaient je ne sais quoi, je ne sais qui. Je ne savais pas encore que ce serait moi...
Des années plus tard, mon diplôme en poche et ma précieuse machine à bois, mon père me donna le droit d’en faire ce que je voulais. Je dois dire que les lyctus et autres vrillettes, elles aussi, en avaient fait autant. Ces bestioles s’en étaient donné à mandibules joie. Des deux planches de noyer, complètement vermoulues, je réussis à extraire quatre bouts de bois qui me réchauffèrent le cœur à la manière d’une petite bricole, un cadre pour un petit miroir. Des autres en merisier, j’ai pu débiter le piètement de mon tout premier meuble.
Un « argentier » de style louis XVI.
Inutile de vous dire que c’est un style que j’aime particulièrement. Des lignes droites, des courbes très épurées, des sections fines, pas de superflus, pas de fioritures.
Avant d’écrire ces lignes, je ne m’étais pas rendu compte que la description que j’en fais, d’une certaine façon, me ressemble ; au risque de paraître prétentieux. Ma récente bibliothèque est un parfait exemple de simplicité des lignes.