Le soleil de juin et l'apéritif auquel nous avions été
conviés nous avaient passablement escagassés. Aussi, le repas champêtre, offert
par la mairie, pour l'inauguration du four banal, arrivait à point...
À l'issue,
une douce torpeur semblait s'immiscer en chacun de nous et afin que personne ne
sombre dans une sorte de coma idyllique, des activités furent proposées. Course
en sac, course à l'œuf pour les enfants.
Pour les hommes, un tir à la corde,
qui réserva bien des surprises, tant aux participants qu'aux spectateurs.
Rapidement, une équipe se constitua ; et quelle équipe ! Les principaux
"gros" paysans s'étaient rassemblés d'un côté et chacun pouvait
constater que le terme "gros" n'était pas usurpé. Les cinq hommes
accusaient respectivement le quintal, voire plus, sur la balance.
De l'autre,
sans grandes convictions : nous, des pas ou plus paysans ; accusant à
peine plus de la moitié...
La partie semblait jouée d'avance. Le signal fut
donné et sans attendre nous enlevâmes la victoire ; les autres furent surpris
au dépourvu.
La revanche s'imposa d'elle-même. Nous fîmes alors mentir les
mathématiques et les lois de la physique, selon lesquelles trois cent-cinquante
kilos de détermination l'emportèrent sur cinq cent-soixante kilos de
conjonction d'incoordination. Mais où était donc ornicar ? On se le demande !
Prétextant une légère déclivité du terrain en notre faveur, une troisième
manche fut réclamée.
À ce moment précis du récit, je dois avouer que c'était
vrai, mais personne n'y avait prêté attention...
La partie s'annonçait importante
et décisive, on sentait la tension, et pas seulement dans la corde. Nous
n'avions pas le droit de perdre, sans quoi nos victoires eurent été sans valeur
; ils n'avaient pas plus le même droit. Pour nous, c'était un jeu, pour eux, un
enjeu : ne pas être humilié.
L'un des adversaires, le dernier de cordée, était
un ancien légionnaire qui faisait peur à tout le monde, une sorte d'armoire à
glace, sans glace, mais avec tablettes de chocolat. Il avait eu la brillante idée de s'harnacher dans
une démonstration de force, semblant dire "moi, je ne lâcherai pas".
Le malheureux... !
Il ne put lâcher prise, quand, avec l'énergie du désespoir,
nous entraînâmes les "puissants" hors des limites du terrain.
L'intervention inopinée et désespérée de leurs épouses n'ayant servi à rien,
sinon à faire se déclarer des prétendantes en notre faveur et accessoirement
rééquilibrer les forces. Notre victoire n'en fut que plus éclatante.
J'ai encore
en mémoire les yeux exorbités de notre légionnaire, qui ne les croyait pas, ses
yeux !
Ce simple jeu avait mis en évidence les tensions, les rancœurs et autres
jalousies qu'il peut y avoir dans un petit village d'apparence tranquille.
Tandis que nous nous remettions de nos émotions, il vint nous saluer.
Lui, il
acceptait la défaite.
"À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire"
Bravo les gars !