Ce n’était pas un défilé de mode. D’ailleurs, j’étais le seul mannequin… malgré mon déhanchement exagéré, mon pas n’était pas aussi assuré que celui d’un professionnel. J’avais pourtant un bon public qui ne perdait rien de ma prestation… Je me produisais devant un parterre d’une vingtaine d’étudiants et diantes en médecine. Je dois vous dire, que pour cela, j’étais à demi nu et qu’autant de paires d’yeux me mettaient mal à l’aise… Bizarrement, s’il avait fallu faire la même prestation en tenue d’Adam, je crois que je l’aurais fait, tellement je voulais apporter une fin à mon calvaire…
Un long processus m’avait amené jusque dans ce couloir d’hôpital ; une petite dose d’audace, et de chance aussi. Je passais en consultation auprès d’un grand professeur de médecine, et ce, sans avoir pris de rendez-vous. Cela parait impensable maintenant, voire impossible, pourtant, ce fut la réalité. Ce n’est pas ma modeste personne qui l’intéressa, mais bien ma pathologie. L’espace de quelques secondes, je délaissai les cannes anglaises et montrais mes piètres performances pédestres. Quelques pas d’une souffrance insupportable suffirent à poser un diagnostic. Cela faisait des mois que j’errais de médecins spécialistes en marabouts de ficelle, et aucun n’avait su dire ce que j’avais. Une chose était sûre, marcher m’était impossible… Cependant, cette consultation impromptue me fit bonne impression, car, cette fois-ci, j’avais un bon pressentiment... Je quittai mon professeur, avec en poche, un traitement à trois francs six sous et l’adresse d’un orthésiste plantaire, une pointure dans le métier, si j’ose dire.
Pas de vitrine tape à l’œil, une petite porte actionnait une clochette sans fée. C’était peut-être même un simple grelot. Ça sentait la simplicité et le professionnalisme ; j’aimais. Des moulages s’alignaient sur des étagères ; des pieds droits, des gauches, des pieds grecs ou égyptiens, des pieds d’argiles… Un festival de pieds même pas nickelés. Il m’apprit qu’ils appartenaient à des sportifs d’outre atlantique ; l’éloignement justifiait cette façon de travailler. Quant à moi, il avait mes pieds sous la main. Pascal T fit un travail remarquable. La clef de voûte de l’édifice orthopédique, outre les coins pronateurs et supinateurs, fut bel et bien la qualité de son travail minutieux. Il officia de mains de maître, aux petits oignons, si je puis dire, et me remit en selle. Progressivement, j’ai remisé les béquilles. Quelques mois plus tard, je pouvais, à nouveau, courir comme un lapin.
Y a pas à dire, ma visite inopinée et audacieuse, dans un moment de désappointement, a été payante.