présentation

dimanche 27 mars 2022

Changement d'heure !

 

Parfois, le temps s’écoule comme un vieux camembert trop fait. Les minutes s’étirent à en devenir des heures, les heures, des journées.  Plus j’y pense, plus le temps qui passe ressemble à cette sorte de fromage en portions à l’effigie d’un bovin hilare. Six, douze, ou vingt-quatre parts, comme autant de tranches horaires.

 


Tout comme mes frères et sœurs, j’ai eu ma première montre-bracelet pour l’entrée en sixième. Loin de chez soi, il fallait mesurer le temps qui nous séparait du retour. Attiré, que j’étais par ces mécaniques, j’avais pris un peu d’avance. La montre de gousset de mon père me fascinait. Elle restait à demeure dans un tiroir de l’armoire parentale. En journée, nous avions interdiction de monter dans les chambres, à l’étage. Selon ma mère, nous n’avions rien à y faire. Aussi, à la faveur de moments d’inattention, je m’éclipsais en douce pour satisfaire ma curiosité. La porte de l’armoire grinçait, mais j’avais trouvé une astuce pour éviter cela. Ensuite, le tiroir forçait sur ses coulisseaux, et il ne fallait surtout pas se faire surprendre par la brusque libération des  frottements ; sans quoi, la chute était inévitable, et moi, démasqué. Là, parmi des papiers importants, gisait l’objet de ma convoitise. La montre de mon père, qui la tenait du sien, et sûrement plus encore. 

 


 

 

 

 

 

 

Je savais passer un temps infini à la regarder égrener en rond, dans un tic tic tic caractéristique. Cette montre n’avait rien d’extraordinaire, mais elle me plaisait, et j’imaginais qu’avec un tel objet, j’avais le pouvoir de ralentir, et pourquoi pas, de remonter le temps. Le ressort n’apprécia pas mes nombreuses remontrances… 

Vienne les nuits, sonnèrent les heures, les jours passèrent et la montre demeura cassée.

Des années plus tard, j’ai retrouvé ce plaisir perdu dans les limbes de l’enfance. Une authentique montre mécanique à la précision Helvétique dardait ses aiguilles à travers la vitrine d’un bijoutier. Je l’ai longtemps admirée, jusqu’à ce que je me décide à franchir le cadran sol/air de la boutique. À défaut de changer d’heure, j’ai changé de montre. C’est dingue, mais je sais encore passer du temps à la regarder tictaquer.  L’instant fugace de la superposition des aiguilles est assez magique ; je remonte enfin le temps. J’ai six, sept ou huit ans. 

 

Ma montre

 

 Mon billet, à l'état de premier brouillon

 

J’aurais aimé hériter de la tocante paternelle ; je l’aurais faite réparer pour rattraper ma bêtise d’enfant. Hélas, tout comme la tradition voulait que la ferme familiale soit reprise par l’ainé des garçons, la montre revint à mon frère. Je me suis senti comme le petit quinquillou… Vous savez, dans ce petit jeu de mains d’enfants, où une poule a fait un œuf au creux de la main…

 

samedi 12 mars 2022

J'aime la pêche

 

Il était six heures du matin, le village peinait à se réveiller. Les quelques chiens des fermes étiraient leurs muscles endormis, baillaient aux corneilles en se demandant probablement où nous allions, de si bon matin.

« C’est à peine l’aurore, et je tombe du plume »

D’ici et là, provenait à nos oreilles le ronronnement sourd des trayeuses électriques. Le camion du laitier n’allait pas tarder à collecter le lait frais ; l’ami Ricoré n’était pas loin… Nous traversions le village encore couvert de nuit. L’aurore était légère, il faisait presque beau. Le petit sentier, juste derrière l’église, nous mènerait directement au vieux moulin ; celui-là même dont je parle ici. Ensuite, seulement se laisser porter à contre-courant, jusqu’au réal, en trempant nos lignes dans les endroits judicieux.

« Moi, j’affute mes gaules, pour partir à la pêche. Musette sur l’épaule, saucisson, bière fraiche »

J’imaginais déjà une pêche miraculeuse, et la taille de mon panier d’osier ne me semblait pas proportionnée pour contenir toutes les truites que je voyais en rêve. Extirper un appât de cette boite remplie de longs bric-à-brac d’anneaux, ne m’enchantait guère. Ensuite, empaler cette pauvre bestiole sur la pointe effilée de l’hameçon me répugnait carrément. Le ver rechigne à se faire empaler gentiment. Bref, la pêche à la ligne ne me donnait pas la pêche. Il est même fort probable, pour ne pas dire sûr, que les truites aux couleurs de l’arc-en-ciel, aient perçu mon malaise, en ne donnant pas suite à mon ver de contact. Tant bien que mal, j’avançais dans ce dédale d’herbes hautes, de branches basses.

« Moi, je plante mon hameçon tout en haut d’une branche. Je tire sur le nylon, me ruine une phalange »

J’étais toujours bredouille, et je trouvais la partie de pêche bien ennuyeuse. Ma provision de vers, même pas à douze pieds s’amenuisait ; les truites s’étaient régalées. Le réal apparaissait au loin, comme un point final à mon initiation à la pêche à la ligne. J’ai réitéré deux ou trois fois l’opération, sans jamais y éprouver un réel plaisir, sinon de parcourir la nature drapée dans son aube de communiante.

« Moi, je sors une truite d’au moins cent-vingt kilos. J’ai pitié, trop petite, je la rejette à l’eau »

Je n’ai jamais pris un poisson de ma vie ; l'eau est trop humide. Je n’ai plus jamais pêché. En tout cas, pas dans ce domaine-là... Je comprends parfaitement que pour la beauté du geste du pêcheur à la mouche, pour cette communion avec la nature, on puisse aimer. Mon frère a adhéré. Moi, c’est la pêche qui ne m’aime pas, et je la lui rends bien. 

 

 

 

 

*Merci à Renaud Séchan, pour les extraits de paroles de cette magnifique chanson, que j'ai mis en exergue : la pêche à la ligne