Les jours qui passent me rappellent à ma mémoire ce parfum envoûtant, si particulier dont seul le mois de juin a le secret. C’est toujours avec le même regard que je me revois sur les bancs de l’école primaire.
L’année scolaire tirait à sa fin, les journées de classe s’étiolaient vers l’été. De ma place, comme des autres, il était impossible de voir ce qui se tramait dehors. Les murs d’allège avaient été conçus si haut, qu’aucun enfant ne pouvaient se pencher vers l’extérieur, ni se laisser distraire par l’agitation qui y régnait. Les journées s’éventaient aux rythmes scolaires ; mais pas que… L’école n’a jamais été une grande passion. L’imagination s’évadait souvent, s’attardait sur la plastique de mes jeunes et jolies maîtresses, et faisait danser des petites flammes devant mes yeux bleus. Ensuite, c’est hors des murs, que l'imagination fleurtait. Il y avait le passage des troupeaux de vaches. Je savais identifier leur ferme d’origine. Le pas lent ou rapide, le claquement des sabots, le tintement des sonnailles, ou leurs absences ; et indices plus précieux, l’aboiement des chiens.
Juste après, profitant de la fraîcheur matinale, réglé comme du papier à musique, passait monsieur Albert, identifiable au son que produisait sa brouette. Elle semblait tousser à chaque grincement de roue. Ça piourait* sec ! Probablement deux gouttes d’huile qui peinaient à se rencontrer, comme disait mon père… Monsieur Albert était un jardinier hors pair, à seize heures ; à toutes les heures. Il vivait littéralement dans son jardin. Lorsque le thermomètre commençait à s’affoler, il rentrait en faisant une halte devant l’école. Le piourement* s’arrêtait net et un puissant « oh, maistre’scorle* » retentissait. Il offrait ses légumes en primeur, en circuit très court.
Tout aussi identifiable, la Renault 4 fourgonnette du facteur. Le courrier était abondant, et son trajet retour servait à récupérer d’éventuelles réponses aux lettres. Mes sœurs écrivaient beaucoup, ma mère répondait beaucoup.
Survenait enfin ce qui nous tenait le plus en éveil. Dans une sorte de concert de pot d’échappement et de moteurs pétaradants, la sarabande des tracteurs en délire débutait. Au premier jour de l’été, les plus impatients et les plus précoces n’y tenaient plus. Le soleil enflammait l’air d’une odeur d’herbe mûr, de foin, l’odeur des vacances. À la ferme voisine, ils ne s’arrêtaient qu’à la nuit tombée. Le village retrouvait son calme, aussi léger que l’ombre du temps.
Le reste de l’année obéissait aux mêmes rites… Les semaines étaient cadencées par le défilé des marchands ambulants.
– mardi matin, deux frères, un boulanger, un épicier
- mardi soir, une épicière, que nous appelions « la casinote », parce qu’elle conduisait un camion siglé « casino ». Blouse bleue, crayon sur l’oreille et gitane maïs fichée à la commissure des lèvres.
– jeudi, un autre épicier, suivi d’un boucher, devant lequel siégeaient, en conseil, plus de chiens que de clients.
- vendredi, re-les deux frères...
– Samedi, point de ravioli…
Voyez, la boucle était bouclée. Pour avoir habité une campagne perdue, un peu hors du temps, nous avions toutes les commodités à portée de main ; sans click and collect !
Ces jours de juin me rappellent à ma mémoire ce temps révolu, comme un parfum oublié, une fragrance diffuse. Pourtant, rien que pour moi, j’aurais aimé arrêter le temps. Depuis, j’aime particulièrement, intimement ce mois, le plus beau à mes yeux.
*Piourer : mot patois, que je ne sais pas écrire. grincer
*piourement : grincement
*maistre 'scorle : je ne sais pas plus l'écrire . Maître/maîtresse d'école
Après seulement avoir lu le billet d'une fée, j'ai su placer les mots des plumes d'Asphodèle chez Émilie.
Les mots à placer étaient :
REGARD, DELIRE, PASSION, DANSER, SAMEDI, NUIT, THERMOMETRE, TOUSSER, OMBRE, FRAICHEUR, ENVOUTER, ENFLAMMER, EVENTER.