présentation

dimanche 26 février 2023

Faux et usage de faux

Devoir de Lakevio du Goût_11100.jpg

 

Marie ressemblait à cette femme aux yeux tristes des basses-terres. Elle
en avait l’air, mais pas encore la chanson...
Sa mère lui avait dit et répété qu’une fille, même aux yeux tristes, ça ne
fait pas un travail d’homme. Marie s’en moquait, comme de sa première
chemise. Elle se voyait libre, et ne supportait pas que seuls les hommes
aient le beau rôle. Ainsi, avec la complicité de son grand-père, Marie
avait appris à manier la faux, mais pour un usage vrai.
Avant de s’atteler à la tâche, elle avait pris soin de s’équiper de
l’indispensable coffin et de la fameuse pierre des Pyrénées. Ceinturé à sa
taille, elle disposait de quoi rafraîchir le tranchant de l’outil.
Pour avoir souvent pansé les plaies occasionnées par un mauvais
maniement de cette dernière, Marie savait que ce simple geste d'affûtage
pouvait être très dangereux. Le coup de pierre ne servirait pas à
grand-chose, si la “daille”, comme on dit chez moi, n’a pas été “piqué”. clic

 
Je revois mon père, installé à même le sol, s’appliquer à la tâche ; une
sorte de petite enclume, enfoncée en terre, sur laquelle on vient battre le
fer, tant qu’il est froid... Par un martèlement sec et précis, on vient étirer
le métal, pour le rendre aussi fin qu’une lame de rasoir. Ainsi laminé, la
durée de vie de la faux est prolongée au maximum, et son tranchant redoutable.
Faux, et usage de faux, est parfaitement écologique. Durable, silencieux, économique, bon pour le corps et l’esprit.


En écrivant ces lignes, je revois mon père en pleine action. Bien sûr, nous
avions une machine moderne, pour faucher les dix-huit hectares de
prairie, mais il aimait à entamer les parcelles par son ancestral geste du
faucheur, afin de ne pas gaspiller les deux ou trois mètres carrés que la
faucheuse mécanique aurait irrémédiablement “drouillé”*.


Le geste sûr, le mouvement élégant, régulier et cadencé à ses pas et sa
respiration. Qui veut faucher loin, ménage sa monture, disait-il.
J’ai en mémoire le son caractéristique produit par le glissement de la lame
dans l’herbe fraîche, avec les senteurs enivrantes de la future récolte.
Toute une enfance réveillée par cette simple image...


Marie était de la même trempe que l’acier de sa faux. Persévérante,
endurante, honnête et droite. Elle abattit, à elle seule, la grande parcelle
des basses-terres. Un hectare et demi, à la force de son courage. Elle
n’avait rien à envier aux hommes, Son grand-père était fier d’elle, il ne l'appellerait plus la petite fille aux yeux tristes des basses terres...


*Drouiller : aplatir l'herbe prête à être fauchée d'une prairie, d'un champ de blé.

dimanche 12 février 2023

Sport divers

 

Le massif du Sancy semblait flotter sur une mer de brume, presque irréel. Figure de proue d’un vaisseau fantôme. Plus nous en approchions, plus il semblait distant, inaccessible. Paradoxalement, son irréalité devenait palpable, magie de la montagne. La lumière de l’astre solaire irisait la surface enneigée dans un dégradé de rose aux reflets bleutés, magie de l’aurore. Je saurais rester des heures à m’évader dans cet infini. 

De ma terrasse, je peux jouir de ce spectacle, mais à travers le prisme de mes jumelles, c’est beaucoup moins envoûtant. La montagne ne s’offre qu’à celles et ceux qui la méritent, qui en sont issues. Je me demande si l’excitation de découvrir ses flancs, de caresser ses courbes, ses pleins et ses déliés n’est pas plus forte que de s’y fondre, magie de l’imagination…

 Je ne suis pas assez bon skieur pour me mesurer à son côté sombre, à ses pistes noires. Mon inconscience juvénile a quelque peu fondu, et je n’ai plus ma forme olympique. J’ai pourtant appris à skier hors des pistes balisées, avec un excellent guide ; magie de la poudreuse. 

Je me suis toujours refusé à apprendre de façon conventionnelle, en exécutant ce maudit « chasse-neige », trop éprouvant pour les muscles, pas plus que ce fameux « planté de bâton » cher à Jean-Claude Dusse... (clic) Moi, je me voyais dévaler les pentes à la manière de Jean-Claude Killy, ou de Perrine Pelen, dont j’adorais le nom, et exécuter des freinages majestueux dans un panache de neige. Ça, c’a avait de l’allure, ça me plaisait, et j’y suis arrivé. Je ne savais pas encore que bien des années plus tard, j’initierai moi-même mes enfants à ce loisir. Le ski, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

 Je pratique peu. Ici, dans le massif central, les montagnes à vaches ne se parent pas toujours de neige. A l’heure du réchauffement climatique, vouloir préserver à grand coup de canon  l’activité ludique mais non moins lucrative des sports d’hiver, me semble une aberration tout aussi sidérante que de climatiser un stade de foot en plein été. Comme si par magie, il tombait de la neige au Sahara…