Elle s’appelait Maria comme d’autres s’appelaient marguerite, Yvonne, Philomène, Sidonie ou Berthe. J’en oublie plein d’autres, de ces vieilles femmes qui peuplaient mon village. Vieilles, pas vraiment ! Une soixantaine d’années, tout au plus, les séparaient du jour de leur naissance, mais elles en paraissaient le double, dans nos yeux d’enfants. Le travail très dur les avait froissées comme des journaux du temps passé. La tenue vestimentaire n’ajoutait rien à l’affaire, le noir était à l’honneur, si bien que nous imaginions qu’elles pouvaient être des sorcières sans balais.
- Marguerite avait des cerises sur son chapeau, elle se faisait croire que c’était toujours l’été.
- Sidonie était d’une curiosité malsaine, de celle qui amadoue les enfants pour savoir ce que trament les parents.
- Berthe, je crois, n’avait pas de grands pieds, mais nous semblait être plus douce que ses congénères. D’ailleurs, nous nous n’y trompions pas. Pour les menus travaux que nous lui dispensions, elle nous payait rubis sur ongle. Des gâteaux qu’elle faisait spécialement, un paquet de gaufrettes ou alors, ces petits beurres au doux nom de « match », au goût jamais égalé ailleurs que chez elle.
- Maria, c’était différent…
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Elle était un petit bout de femme, animée d’une énergie débordante. De très tôt à très tard, elle s’activait. En fait, elle ne s’arrêtait jamais. Ses nuits ne devaient pas durer plus de quatre ou cinq heures. Elle était tellement occupée, qu’elle n’avait pas le temps d’être malade, ni de contracter la grippe. C’est dire ce qu’elle aurait fait du Covid… Il était impossible de lui donner un âge, tant elle paraissait ne pas en avoir. Un visage buriné, bruni par le soleil, noirci par les fumées du temps et les trente-sept misères de la vie d’alors dans un cantal quasiment sous-développé, était creusé de rides profondes, cérusé à la manière d’un vieux meuble patiné par le temps. Sans son foulard, Maria arborait une coupe de cheveux qui aurait laissé plus d’un coiffeur dubitatif… Je pense qu’elle devait se les couper elle-même. Ce n’était pas folichon, mais c’était fonctionnel. Il suffit, qu’avec mes frères et sœurs, nous évoquions « une coupe à la Maria » pour que nos souvenirs reviennent intacts. Quand elle se rendait aux divers marchands ambulants, une meute de chien, tout aussi noirs qu’elle, l’accompagnait. Ainsi escortée, dans un accoutrement à faire peur un soir d’Halloween, elle semblait bien loin de la jeune fille de dix-sept ans qu’elle fut lorsque celui qui était alors son mari, l’avait enlevée pour vivre avec et élever celui qui s’appellerait quelques mois plus tard, René.
Les vieux, c’est bien connu, ne parlent plus, ou alors parfois du bout des yeux ; c’est de mon père que je tiens cette histoire. Quand même, ces vieux qui peuplèrent ma jeunesse, même si ils avaient tous l’âge de la sagesse, ne l’avaient pas toujours été, sage !
*** : photo prise quelque part en pays catalan