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samedi 14 juin 2025

Abus de pouvoir

Le deal était clair, et je l'avais accepté. Pendant toute la durée de leur séjour dans une ile de l'océan indien, je devais veiller sur leur habitation, au bon fonctionnement d'un mode de chauffage en veille, les mois d'hiver, et un entretien des abords de la maison. Le plus important, étant réalisé par une entreprise spécialisée dans l'entretien des espaces verts. Cet arrangement leur permettait de partir l'esprit plus serein, et moi, d'agrémenter la saveur des épinards... Au passage, je gagnais leur confiance. Cependant, il y avait un petit truc qui me chagrinait, trois fois rien, une sensation bizarre que cette confiance, qui avait un prix, ben, justement, avait un prix...
Très honnêtement, j'aurais pu rendre ce service gratuitement. J'en étais presque vexé.
Après cinq ans passés, ils revinrent et mon contrat expira de sa belle expiration. La vie reprit son cours, jusqu'à l'année suivante, où ils me recontactèrent pour prolonger ledit contrat. Les termes n'étaient plus les mêmes, j'avais la mauvaise impression de mettre les doigts dans un mauvais engrenage, tout en sachant qu'il n'y en a pas de bons... Je refusai tout net. Voilà quinze ans qu'ils ne m'ont plus fait signe, quinze ans qu'une relation tarifée n'a plus de tarif, quinze ans qu'elle n'existe pas. Pour tout vous dire, je ne m'en porte pas plus mal. Dès le début, j'avais senti l'intérêt qu'ils me portaient pour mes multiples savoir-faire. Uniquement mes savoir-faire... Je n'avais aucune envie ni besoin de devenir l'homme à tout faire de mon voisin, qui me semblait avoir des velléité d'invasion. Cela ne me semblait pas sain, du tout. Ma sensation du début ne m'avait pas trompé... Une relation, quelle qu'elle soit, ne s'achète pas, même de façon déguisée. Je ne crois pas me tromper en disant que je suis naturellement porté de bons services, mais il ne faut pas abuser. Certes, je suis parfois un peu «ours», une protection que je me suis construite, favorisée par mes racines cantaliennes, mais une protection efficace pour garder mes distances envers autrui. Une sorte d'acuité à savoir jauger les bonnes personnes des moins bonnes ; je ne dis pas que c'est un sixième sens, mais cela m'a très souvent réussi. Certaines personnes savent voir au-delà de ce costume d'ours, d'autres, pensent pouvoir en vendre la peau sans l'avoir tué. De temps en temps, comme sur ce blog, je choisis de laisser tomber mon masque.

 

samedi 10 mai 2025

Bois de chauffe

 

Chaque printemps, avec le retour des hirondelles, le même rituel s'insinuait dans nos vies. Avant que les travaux de l'été n'accaparent les heures, ces mois de floréal étaient consacrés à la préparation du bois de chauffage pour l'hiver à venir. Il fallait attendre que l'éternelle neige ait terminé sa fonte pour rendre accessibles les parcelles boisées. Au volant du vieux tracteur, mon père emmenait les bras et jambes valides de celles et ceux qui étaient en âge d'aider un minimum. J'aurais aimé y aller. La préparation du pique-nique donnait déjà très envie ; Hélas, j'étais encore trop petit, mais mon tour viendrait. 

En fin d'après-midi, avec ma petite sœur, nous guettions l'arrivée du convoi de grumes ; Impatient que nous étions, car, une fois empilés, les troncs à l'écorce lisse deviendraient notre terrain de jeux...

Dans la remorque de fabrication paternelle, et par un astucieux savoir-faire, le précieux chargement allait être empilé à l'identique, en deux temps trois mouvements.

 

- « Pas besoin d'être ingénieur, pour être ingénieux» disait souvent mon père...

 

À partir de là, et l'espace de quelques semaines, les troncs de fayard nous appartenaient. Équipés du célèbre couteau savoyard, les billes de bois deviendraient le théâtre de nos expérimentations. 

Comme nous l'avions vu faire, nous gravions dans l'écorce toutes sortes de signes plus ou moins cabalistiques, des frises aux allures de hiéroglyphes cantaliens, entremêlés de chiffres et de lettres, agrémentés de diverses formes géométriques. Nous nous amusions de ces créations éphémères, avant que l'effet père n'intervienne, en débitant nos précieuses œuvres artistiques, en bûches.

L'écorce lisse du hêtre, surtout quand il est vert, se prête particulièrement bien à la gravure. Pour améliorer la technique, j'avais affûté un vieux tournevis plat, qui devenait ainsi, une sorte de ciseau à bois, avant l'heure... 

Ainsi passaient nos quelques journées de liberté enfantines. Je ne pouvais imaginer, qu'à l'instar de nos gravures sur bois, se gravait dans ma mémoire ce souvenir indélébile. 

Il revient frapper à ma porte, chaque fois que je m'attèle à la lourde tâche de prévoir le chauffage des hivers à venir. Celui-ci, sur la photo, sera pour l'hiver 2028.

 

bois de chauffage hiver 2028
 

Ces jours-ci, aux senteurs du printemps, se mêlaient le parfum de l'enfance ravivé par l'odeur subtile du bois fraîchement coupé, et le goût âcre du tanin dont le chêne a le secret.

Je ne grave plus quoi que ce soit, sur les troncs. Je me contente de ranger mes « estelas »*, avec des souvenirs plein la tête. 

Avant que ce bois ne me réchauffe le cœur et le corps, j'en ferais des bûches. Mais pour l'heure, ce travail m'a donné matière à écrire.

 

 


 

* estelas : mot patois, que je ne sais pas orthographier.  Bois fendu pour en faire des piquets de clôture, ou du bois de chauffage.

samedi 15 mars 2025

L'inconnue du calypso

 

Le carrefour était dangereux, c’était un fait. J’empruntais cette route tous les jours, et il n’était pas rare de constater régulièrement les restes d’une collision, ou bien un véhicule accidenté, sur le bas-côté. La priorité, qui était à droite, n’était manifestement pas adroite… Elle se révélait même être un piège fatal. Aussi, après plusieurs années, les autorités compétentes décidèrent de modifier le carrefour. Un superbe rond point, comme il en fleurit, même où il n’y en a pas besoin, vit le jour. Certains disaient que c’était pour em...... ♫♫♫ Le peuple, dans ce cas précis, il s'avérait indispensable.

Il n’y eut plus d’accident grave. De temps à autre, je constatais que quelques automobilistes, épris de vitesse, s’autorisaient à traverser sur le terre-plein central ; la négociation de la nouvelle intersection avait toutes les chances de se terminer dans le champ en contrebas. De deux maux, il fallait choisir le moindre, et ce, en une fraction de seconde.

 

C’était une nuit sans lune, noire comme un Soulages… seules deux raies de lumière, dirigées vers les étoiles, la transperçaient. Dans cet éclat de lumière, je distinguais des badauds qui badaient ; ce qui est le propre des badauds. Mes yeux remontèrent le flux lumineux jusqu’à sa source ; une voiture sur le toit, fraîchement retournée. J’adaptai ma vitesse, et distinguai des ombres, qui n’avaient rien de Chinoises, se mouvant à la lueur de frêles flammes de briquets. 

Je ne voulais pas grossir la foule des curieux, mais, pour m’être retrouvé un jour, ou plutôt une nuit, dans cette situation inconfortable, je décidais de prêter main-forte. Dans le cadre de mon travail, j’avais toujours, dans mon véhicule, une puissante lampe de chantier. Une lampe à l’aide, précieuse… J’apportai donc mes lumières, en allant à la rencontre des ombres de la nuit.

 

- Des blessés, demandais-je ?

- Non, je n’ai rien, répondit la négociatrice malchanceuse.

 

Les flammes vacillèrent et s’éteignirent de concert, tandis que les ombres se dissipaient. La conductrice profita de ce nouvel éclairage pour récupérer quelques affaires. Les téléphones portables n'existaient pas encore, aussi, il fallait se faire secourir par ses propres moyens. Elle se rendait dans la cité des bitords**… moi aussi. Naturellement, elle devint ma passagère. 

En chemin, elle me conta sa mésaventure, sa peur. Le rond-point mal appréhendé ; la force centrifuge qui expulse vers l’extérieur, les roues qui mordent le gravier du bas-côté, et dans l’air du soir, sa Volkswagen s’envola dans les fougères, loin des nénuphars, fin de la ballade...♫♫♫

Vingt minutes plus tard, je la déposais devant le calypso… c’est là que je remarquai son ventre arrondi, et osai un conseil…

 

- C'est gentil de vous inquiéter, merci. Je vais appeler mon mari, ça va aller, merci encore.

 

Chaque fois qu’il m’arrive de passer devant cette enseigne, je repense à mon inconnue, qui sera à jamais mon inconnue du calypso.

 


 

 

samedi 22 février 2025

Métier 2

 

Ce tantôt, je me suis réveillé avec un étrange constat dans la tête. j'ai pas mal de choses à faire, et je ne vais pas avoir assez de temps... Figurez-vous que d'ici la fin de l'année, je n'aurai plus à disposition tous les matériaux et outillages dont peut regorger une entreprise de menuiserie d'agencement... C'est un des avantages que procure l'exercice de mon métier, dans une entreprise conciliante... Cela fait trente ans que je n'ai jamais acheté quoi que ce soit pour satisfaire mes velléités de bricolage. Je vous confierai que je n'ai plus grand-chose à aménager, chez moi ; j'ai fait tout ce qu'il y avait à faire. Actuellement, j'en suis à remplacer mon bureau, que j'avais fait en matériaux de récupération, par un nouveau en bois d'arbre. J'ai toujours été atterré par tout ce qui se jette et se gaspille. Quand je vois ce que je peux en faire d'utile, et fonctionnel, je me l'accapare. Mon nouveau bureau est en vrai bois que j'ai acheté sur un site d'annonce bien connu ; en frêne, une essence que j'affectionne. Cela fait trois mois qu'il est en place, à l'état brut, sans finition, pour qu'il s'adapte à son environnement. J'aime cette façon de procéder qui n'existe pas ou plus. Ce plateau de bureau aura tout le loisir de travailler, de se déformer, d'accuser des petites fentes. Ainsi, avant de procéder à sa finition, je pourrais éventuellement le reprendre pour que le résultat soit impeccable.

J'ai pratiqué de la même manière pour la réalisation de ma table de salle à manger. Composé de quatre panneaux assemblés entre des traverses et ceinturés par des alaises, cette table ne devait souffrir d'aucune malformation.

 

Un des quatre panneaux, brut de débit

 La difficulté était dans la stabilisation dimensionnelle des panneaux. Le bois est un matériau vivant, dont la stabilité varie en fonction de la température et de l'hygrométrie. Le bois doit être sec et en accord avec son lieu d'utilisation. Chaque panneau, ainsi assemblé, prisonnier de ses traverses et alaises ne doit pas ni se rétracter, ni gonfler, par une reprise d'humidité dans l'air. Le résultat serait catastrophique. Une ou plusieurs fentes conséquentes pourraient apparaître, en cas de retrait ; les assemblages pourraient casser, en cas de gonflement. 

Pour ce faire, j'ai réalisé l'ouvrage en deux temps.

- confection des panneaux que j'ai entreposés dans la pièce, pendant neuf mois.

- montage et assemblage de l'ensemble, que j'ai abandonné pour la même durée, au même endroit, pour lui laisser tout le loisir de se déformer à sa guise.



 

Plateau de table, avant  finition

 

Passé ce délai, mon plateau de table n'a pas bougé d'un iota ; c'était beau de voir que ma méthode portait ses fruits. Eh, de beaux fruits, voyez vous-même.

J'en suis assez fier.

 

 

En place, avec son pied central en acier


 

 

dimanche 12 janvier 2025

Plus belle, la vie !

 

Je n'avais rien prévu d'écrire en cette veille d'anniversaire. Cependant, en plein milieu de la veillée, l'inspiration daigna frapper à ma porte. J'ai ouvert...

C'est le message que ne manquera pas de m'envoyer ma sœur N....., qui a réveillé ma plume ; elle me l'envoie assez régulièrement, depuis quelques années : 12 janvier 1985, tu te souviens ?

Eh comment, que je me souviens ! En ce temps-là, j'avais vingt ans...

Une vague de froid sévissait sur la France. Des températures négatives rivalisaient de négativité. Ça ressemblait aux soldes ! Moins dix, moins vingt, moins trente, degrés ou de force. J'étais en permission dans le sud du pays. Pour y avoir vécu, je sais qu'il peut y faire très froid. L'absence de neige était trompeuse, et ne donnait pas l'impression que les routes pouvaient être dangereuses. Elles l'étaient, invisiblement. Dans la grande ligne droite, bordées de platanes et de micocouliers, reliant la terre de Sommières à celles de Fontanes, la voiture ne s'envola pas dans les fougères et les nénuphars... Non pas qu'il n'y en eut point, mais l'humidité générée par la proximité du Vidourle s'était cristallisée sur la chaussée, qui n'était pas aux moines ; la messe allait être dite, amen. La Ford modèle T, comme Taunus, dérapa. Je ne me souviens plus de la vitesse à laquelle je conduisais, assez vite je pense ; trop vite. Trompé par l'absence de neige et mon inexpérience, je perdis le contrôle. J'évitai de justesse un véhicule en sens inverse, tandis qu'un platane décidait de me couper la trajectoire, je contrebraquai prestement, tandis qu'un autre m'attirait à lui. Ça sentait le sapin dans les feuillus. 

Le choc fut très violent. La voiture s'enroula littéralement autour de l'arbre, mue par son inertie, elle pivota, et termina sa course folle dans un mur de pierre du Gard. Celui-ci, parfaitement maçonné, stoppa net toute velléité d'Holiday on ice. 

Le véhicule était fichue, nous étions indemnes, ou presque. 

Seulement deux côtes cassées pour ma sœur N….., qui n'avait rien vu venir. Assise à la place du mort, elle se retrouva instantanément assise derrière moi. Le plus étrange, c'est que le bonnet qu'elle portait, se retrouva à l'extérieur, pendouillant contre la vitre laissée entrouverte de seulement quelques millimètres.

En ce temps-là, j'avais vingt ans, aujourd'hui, j'en ai pile trois fois plus, et mon blog vient de franchir la barre des six.


Pour cette nouvelle année, déjà entamée, je vous souhaite tout ce que 2024 ne vous a pas apporté de bien.

 

 

vendredi 27 décembre 2024

Nuit magique

 

Je ne sais pas si tous les Noël sont magiques ! Je sais seulement que parfois, une magie opère ; cela m’est arrivé un jour, ou plutôt une nuit. La nuit de Noël.


Nous étions parties précipitamment, sans véhicule approprié, ni matériels spécifiques. L’entreprise dans laquelle j’officiais avait eu la bonne idée d’envoyer toutes ses équipes en déplacement, dans les différents chantiers de la région. Après avoir dégoté un véhicule et un semblant de matériel, affublé d’un coéquipier, nous partîmes pour la capitale Auvergnate, exécuter le dernier chantier de l’année. Par chance, nous travaillerions au chaud, à l’intérieur ; ce n’est pas toujours le cas. Le chantier ne s'annonçait pas facile. Si j’en avais réalisé la fabrication de la pièce maîtresse, je n’aimais pas en faire l’installation.

Mettre en place un comptoir de bar n’est pas la chose la plus aisée. Je déteste travailler confinés dans les quatre mètres carrés de l’arrière d’un bar, où s’affairent menuisiers, plombiers, électriciens, brasseurs et autres corps de métier du bâtiment. En un mot, c’est le b…..  Mais laissons cela, car la magie n’était pas là.

Tant bien que mal, nous terminâmes la pose de l’ouvrage, avec le soutien d’autres équipes venues nous rejoindre. Le patron du lieu était ravi, et nous offrit le champagne, mais pas que… La soirée ne faisait que commencer, et sur ces entrefaites, nous quittâmes tardivement ce lieu pour un autre du même acabit, en plein cœur de la cité estudiantine. Nous fîmes la fermeture à une heure avancée de la nuit. Pour le retour, j’avais troqué mon véhicule contre un autre de l’entreprise, et récupéré au passage, deux passagers supplémentaires.

Nous étions maintenant quatre personnes dans un véhicule conçu pour trois. En tant que chauffeur, je n’étais pas à l’étroit. Il n’en était pas de même pour mes trois loustics quelque peu éméchés.

Tout aurait été pour le mieux si, pour le retour, je n’étais pas tombé sur un barrage de police… P…. Zut, m’exclamais-je ! Le plus naturellement du monde, je l’évitais en bifurquant vers la seule autre issue possible. C’est à ce moment-là qu’ils me repérèrent. C’était suspect !

Sans que je ne m’en aperçoive vraiment, ils nous emboîtèrent le pas. La question qui me taraudait, était de savoir à quel moment ils allaient nous arrêter ? La réponse fusa à la vitesse de la lumière, ou plutôt à la vitesse de la Renault 21 Nevada. Le véhicule de la BAC nous serra façon Starsky et Hutch, mais sans solo de guitare électrique... En une fraction de seconde, cinq policiers surgirent et prirent position. Je me voyais déjà terminer la nuit du réveillon au poste de police, d’autant plus que j’avais quasiment brûlé un feu rouge. Un test d’alcoolémie n'aurait pas arrangé les choses...

Ils invitèrent mes collègues à descendre du véhicule, en appuis contre la camionnette, une fouille en bonne et due forme fut pratiquée. Pas d’invitation pour moi. Stoïque, je restais au volant et fournissais les documents demandés, en délivrant moult réponses aux questions posées. Leur dire que notre chantier était une brasserie ne me paraissait pas être une bonne idée, cependant, c’était la seule vérité. J’ai dû être convaincant, puisque mes acolytes, presque dégrisés, furent invités à regagner leurs places. Tandis que les policiers se concertaient quant à l’issue à donner à leur intervention, j’imaginais mon permis s’envoler. Je n’attendis pas longtemps. Ils me rendirent mes précieux sésames en me recommandant de faire très attention à mes passagers en surnombre. Un “joyeux Noël” accompagna le geste, alors que je remerciai très sincèrement. 

Je pense que c’est cette nuit-là, que la magie opéra.