Chaque printemps, avec le retour des hirondelles, le même rituel s'insinuait dans nos vies. Avant que les travaux de l'été n'accaparent les heures, ces mois de floréal étaient consacrés à la préparation du bois de chauffage pour l'hiver à venir. Il fallait attendre que l'éternelle neige ait terminé sa fonte pour rendre accessibles les parcelles boisées. Au volant du vieux tracteur, mon père emmenait les bras et jambes valides de celles et ceux qui étaient en âge d'aider un minimum. J'aurais aimé y aller. La préparation du pique-nique donnait déjà très envie ; Hélas, j'étais encore trop petit, mais mon tour viendrait.
En fin d'après-midi, avec ma petite sœur, nous guettions l'arrivée du convoi de grumes ; Impatient que nous étions, car, une fois empilés, les troncs à l'écorce lisse deviendraient notre terrain de jeux...
Dans la remorque de fabrication paternelle, et par un astucieux savoir-faire, le précieux chargement allait être empilé à l'identique, en deux temps trois mouvements.
- « Pas besoin d'être ingénieur, pour être ingénieux» disait souvent mon père...
À partir de là, et l'espace de quelques semaines, les troncs de fayard nous appartenaient. Équipés du célèbre couteau savoyard, les billes de bois deviendraient le théâtre de nos expérimentations.
Comme nous l'avions vu faire, nous gravions dans l'écorce toutes sortes de signes plus ou moins cabalistiques, des frises aux allures de hiéroglyphes cantaliens, entremêlés de chiffres et de lettres, agrémentés de diverses formes géométriques. Nous nous amusions de ces créations éphémères, avant que l'effet père n'intervienne, en débitant nos précieuses œuvres artistiques, en bûches.
L'écorce lisse du hêtre, surtout quand il est vert, se prête particulièrement bien à la gravure. Pour améliorer la technique, j'avais affûté un vieux tournevis plat, qui devenait ainsi, une sorte de ciseau à bois, avant l'heure...
Ainsi passaient nos quelques journées de liberté enfantines. Je ne pouvais imaginer, qu'à l'instar de nos gravures sur bois, se gravait dans ma mémoire ce souvenir indélébile.
Il revient frapper à ma porte, chaque fois que je m'attèle à la lourde tâche de prévoir le chauffage des hivers à venir. Celui-ci, sur la photo, sera pour l'hiver 2028.
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bois de chauffage hiver 2028 |
Ces jours-ci, aux senteurs du printemps, se mêlaient le parfum de l'enfance ravivé par l'odeur subtile du bois fraîchement coupé, et le goût âcre du tanin dont le chêne a le secret.
Je ne grave plus quoi que ce soit, sur les troncs. Je me contente de ranger mes « estelas »*, avec des souvenirs plein la tête.
Avant que ce bois ne me réchauffe le cœur et le corps, j'en ferais des bûches. Mais pour l'heure, ce travail m'a donné matière à écrire.
* estelas : mot patois, que je ne sais pas orthographier. Bois fendu pour en faire des piquets de clôture, ou du bois de chauffage.
Certes, tu décris bien ces souvenirs qui te reviennent à l'esprit. Ce que j'aime par dessus tout est ce descriptif du bois, son odeur, sa tendreté, son empilement. Je te trouve très confiant en l'avenir pour prévoir la provision de 2028.
RépondreSupprimerLe père a décidément laissé des traces indélébiles... .c'est beau.
Amicalement. Chinou
J'éprouve un grand plaisir à faire mon bois. Les souvenirs et son odeur y sont sûrement pour beaucoup. C'est un mode de chauffage plutôt économique, d'autant plus qu'en bon Auvergnat, j'en récupère à mon travail. Cela me ferait mal au cœur de le voir partir dans une benne à déchets.
SupprimerCertes, ce n'est pas de tout repos, mais le jeu en vaut la chandelle.
Chaleureusement.
On sait d'où te viennent ton talent et ton amour profond pour le bois. Ces souvenirs en appellent d'autres que tu nous feras surement partager. Comme toi, je me souviens de tous ces travaux qui nous ont appris la dure existence des notres et d'où nous tenons nos racines. On ne passait pas notre enfance à larmoyer ni à nous prélasser, et c'était autre chose que d'aider à ramasser la table et donner un petit coup de torchon sur la vaisselle !
RépondreSupprimerJe ne t'apprends rien si je te dis que nous commencions à travailler très tôt.
SupprimerC'était comme ça chez tout le monde. Heureusement, ce n'était pas le bagne, non plus ! Nos racines paysannes, solidement ancrées, sont très utiles pour tenir debout dans les tempêtes que l'on peut avoir à essuyer, tout au long de notre vie.
Et puis comme dit le vieil adage, « Quand homme blanc rentre beaucoup de bois, hiver sera très très rude ! »
RépondreSupprimerTu laisses donc sécher le bois 3 ans ? Qu'est-ce que c'est comme essence ? Moi j'ai appris à bûcheronner avec mon chéri. C'est physique, mais j'aime bien. Voilà ce que c'est d'habiter sur une colline boisée ...
Ravie de te retrouver, mon Xoulec, ça faisait bien longtemps...
Je t'embrasse
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Rude ou pas, je rentre toujours la même quantité de bois. Pour savoir ce qu'il en est de se faire prendre au dépourvu, maintenant, je suis prévoyant ; trois ans, c'est bien. Je consomme cinq stères de bois par hiver, principalement du chêne, mais parfois, il arrive que dans le lot, un peu de hêtre se soit glissé. Si tu cliques sur la photo, tu pourras visualiser plus facilement et peut-être reconnaître le bois de chêne, caractéristique avec son aubier très blanc, le duramen brun, et l'écorce rugueuse.
SupprimerRavi aussi de ton commentaire ; tu sais que je suis toujours très touché.
Je te fais un gros poutou
Les souvenirs d'enfance... les odeurs, les matières. Pour moi, ce sont les bûches qui brûlent dans la cheminée. J'aimais cette odeur et chaque fois qu'aujourd'hui, mes narines captent à nouveau ces senteurs boisées, les souvenirs remontent et parfois aussi des larmes de bonheur et de reconnaissance. Bises alpines.
RépondreSupprimerCoucou, c'est assez extraordinaire que de simples odeurs puissent avoir un pouvoir aussi grand ...! Mais il est vrai que l'on ne guéri jamais de notre enfance...
SupprimerBises puydômoises
Lorsque j'étais enfant j'admirais la force que mon papa déployait a refendre les buches qui nous serviraient de bois de chauffage, sans a l'époque, penser qu'un jour peu de messieurs continueraient à pratiquer cet exercice fastidieux et même si je m'amusais devant ce feu de cheminée je n'en comprenait pas l'importance, une fois mariée je m'y suis attelée avec mon epoux et le feu de cheminée bien qu'il nous ait apporté un confort certain, il laissa vite la place aux radiateurs electrique mais que c'est réconfortant de voir les flammes dans cette cheminée et aujourd'hui même seule j'en savoure le bénéfice mais je laisse le soin de refendre le bois à mon fils qui, lui, n'a pas de cheminée :-)
RépondreSupprimerTon texte a rechauffé mon coeur de souvenirs lointains merci à toi.
bises cantalouses.
Faire son bois de chauffage de A à Z est très gourmand en temps, et la partie bucheronnage est la plus pénible. Je ne la fait pas, j'ai donné...
SupprimerJ’économise l'opération d'empiler les bûches ; je tronçonne mes "estelas" en fonction des besoins. Mais je suis un gars prévoyant... je ne me laisse pas prendre au dépourvu.
Lorsque nous nous sommes installés dans notre maison, le chauffage électrique était présent. Dès les premières factures d'hiver, j'ai fait les travaux nécessaires....
J'ai installé un conduit de cheminée, auquel j'ai raccordé un poêle de fabrication scandinave ; et nous avons eu chaud... Je ne me lasse pas de sa chaleur, de ses flammes.
Mon texte relate les souvenirs d'un temps révolu. Je n'avais pas plus de dix ans. Je suis heureux que mon feu de bois t'ait réchauffé le cœur, à la manière d'un feu de joie cher au grand Georges
Bises d'un cantalou dans l'âme.
Tu as du talent pour nous entraîner dans le monde de ton enfance et nous y accueillir. Ça touche l'enfant citadin que je fus et dont les meilleurs souvenirs se passèrent à la campagne chez un oncle et une tante dans la simplicité de l'ordinaire du travail de ses mains et de la culture d'un jardin, l'élevage d'un poulailler, nécessaires pour s'alimenter et vivre.
RépondreSupprimerJe pense à certains de mes petits-enfants biberonnés aux algorithmes, passionnés de lignes de code avec de nobles intentions écologiques. Je ne compare pas, c'est différent, mais quand même, le travail du bois, de la matière non virtuelle, l'homme est peut-être plus fait pour cela que brancher et débrancher des fils dans des « data Center »…
Grand merci pour ce billet souvenir qui aère la tête et nous fait du bien.
Ce souvenir est revenu, alors que je l'expliquais à mon fils, qui m'aidait.
SupprimerNous nous adonnions à des activités simples, mais tellement prenantes, nous y passions des heures qui me semblaient toujours trop courtes.
C'était amusant, une fois l'hiver venu, de découvrir une de "nos" bûches gravées, qui allait rejoindre la cuisinière à bois.
J'ai grandi à la campagne, dans un milieu modeste, nous nous amusions de ce que nous avions ; probablement pas grand-chose, mais nous nous en amusions. C'était bien là le principal. Cela n'a pas fait de nous des être incultes ou complétement "attardés", je crois que cela nous a donné une certaine force, un bon sens. Je le constate encore maintenant, chaque jour. J'en remercie mes parents.
C'est beau ce que tu écris Xoulec, mélange d'odeurs de bois et d'enfance, je respire chaque mot... et la musique choisie s'accorde si bien avec tes mots...
RépondreSupprimerMerci Myrte, comme je l'écris plus haut, on ne guérit pas de son enfance.
SupprimerJ'ai essayé de transmettre ces valeurs, par l'intermédiaire d'activités simples, à mes enfants. Ils n'en ont probablement pas encore conscience, mais je sais que c'est en eux, et cela me réjouit.
Oserais-je te faire une bise ? Moi qui n'embrasse pas ! J'en ferais un billet qui est encore à l'état de brouillon.
Bise d'Auvergne
Je suis persuadée qu'on transmet plus à nos enfants par ce qu'on fait que par ce qu'on dit... Touchée par ta bise auvergnate, surtout si elle est rare, je prends ! Je n'embrasse pas facilement non plus...
SupprimerEffectivement, on transmet vraiment par le mimétisme ; en voyant et regardant faire. Eh puis un jour, on se risque, et on sait.
SupprimerQuand mon père s'attaquait à une opération qui sortait de ses attributions propres au métier de paysan, il disait toujours : « y a pas de raison qu'on y arrive pas, on est pas plus bête que les autres, il suffit de faire comme on a vu. » Il arrivait aussi, parfois, d'avoir mal vu :-)
Quel beau souvenir tu racontes ici. C'est vrai que l'odeur du bois est agréable. Je garde aussi de bons souvenirs de mon enfance, des souvenirs que j'ai essayé de publier au mieux sur mon blog depuis 2006. Merci pour la vidéo de guitare, je connais ce guitariste depuis 2010, depuis que je mettais mes propres vidéos personnelles de guitare mais je n'ai plus le temps de jouer de la guitare depuis 4-5 ans. C'est bien dommage mais cela demande de jouer au moins 3 à 5 h par semaine. Bon après midi.
RépondreSupprimerCe que j'aime, dans le feu de bois, c'est sa chaleur... au sens propre, comme au figuré. 21 degrés au feu de bois ne sont pas identique à 21 degrés avec une autre source de chaleur ; l'air asséché est plus confortable à vivre. Dès qu'il fait un peu frais, comme ce soir, une petite flambée, deux bûches, et on est tout de suite mieux.
SupprimerQuant à la guitare, j'aurais aimé savoir en jouer, mais sans connaître les notes, ni le solfège ; bref, "naturellement". Mais là, je crois que je rêve !
Bon week-end