Il avait beaucoup plu. Tous les jours, ou presque.
Ainsi, en ce début de mois de mai, comme appelé par la nature,
j’auscultais un talus qui m’inquiétait
beaucoup. Il semblait me dire « Attention Xoulec, je ne pourrais pas tenir
longtemps ». Sans être géologue, je sentais que sa dernière heure était
proche, mais dans l’immédiat, je ne pouvais rien pour lui.
Á quatre heures du
matin, dans un demi-sommeil, j’entendis son râle silencieux. Mon sixième sens, en
me tirant des bras de Morphée, me fit savoir que quelque chose de tragique
pouvait se jouer…
Je me dirigeais dans la cuisine, et vis avec effroi que
« mon » talus s’était écroulé sur lui-même dans un immense bain de
boue.
Un filet de son sang s’était glissé sous l’ossature de ma maison de bois
pour me signaler sa détresse et me faire prendre conscience de la mienne…
Plusieurs tonnes de boue s’étaient blotties contre la maison, l’eau
s’accumulait et le tout l’aurait emporté comme celle des trois petits cochons.
Je sautais dans mes bottes, et à l’aveuglette, je tentais de faire mon possible
pour éviter cela. Au bout de plusieurs heures d’un combat inégal, impuissants
devant les éléments, nous abdiquâmes. Épuisés.
Je commençais à étudier les différentes possibilités de relogement… Et dans un
dernier sursaut d’espoir, j’appelais les pompiers.
Ils ne purent rien faire.
C’est à partir de là, que la chance commença à sourire. Le soldat du feu nous
mit en relation avec un maçon de sa connaissance, qui pourrait peut-être nous
aider.
Hélas, devant l’ampleur du désastre, son matériel se révéla inopérant.
Vider la grande bleue avec un dé à coudre aurait été plus facile.
Non, là, il
fallait du lourd. Je ne cache pas que faire intervenir une entreprise de travaux
publics un jour férié, assorti d’un pont, et chaussé de chenilles de métal,
relève de la gageure. Pourtant, c’est ce qui se produisit. Je me souviens
parfaitement de ce que monsieur B…. ajouta à mes explications
téléphoniques : « On ne peut pas laisser ce monsieur dans cette
situation… »
À peine deux heures plus tard, les vingt mille kilogrammes
d’un caterpillar n’allaient pas faire dans la dentelle. Monsieur O……. officia
de main de maître avec une précision d’orfèvre et sauva notre maison d’un
effondrement certain.
caterpillar salvateur |
Au passage, cette mésaventure me révéla que c’est
vraiment dans le besoin que l’on reconnaît ses amis. Ceux en qui je croyais, se
délitèrent comme autant de grain de sable fin, me laissant seul avec moi.
Heureusement, d’autres, des voisins, des connaissances, sont venus
spontanément.
Je ne sais pas pourquoi, quand il pleut vraiment
beaucoup, je repense à cette nuit-là. Enfin si, je sais pourquoi…
Il est des évènements qui marquent. Penser à celui ci doit être inévitable, surtout en pareilles circonstances.
RépondreSupprimerC'est exactement ça, depuis vingt ans, chaque fois qu'il pleut beaucoup, j'y pense... D'où ce billet de circonstance.
SupprimerWow. Ça impressionne ! Vous avez dû avoir la peur de votre vie...
RépondreSupprimerOui, il y a des circonstances où on reconnaît bien ses amis.
Une fois la maison sauvée, c'était encore plus impressionnant. Un spectacle de désolation... C'est assez paradoxale, mais la peur de tout perdre a fait que l'on n'avait plus rien à perdre. C'est ce qui nous a fait "tenir". Le mot "ami" est à utiliser avec des pincettes...
SupprimerC'est une belle histoire et tu as su ne pas renoncer à demander l'impossible.
RépondreSupprimerJe suis tout le contraire! et mon mari, le contraire de moi.
2 exemples, il rate une sortie d'autoroute, pour un petit trajet ça nous rajoutait 50 kms !
il me dit je vais demander au péage, il y avait encore des humains! Bien sûr je lui dis que ça ne sert à rien et me moque de lui.
L'employé du péage nous ouvre une barrière réservée au service. 5 minutes après nous étions chez nos amis bcp plus rapidement que si nous ne nous étions pas trompés de sortie...
Une autre: à Besançon alors que nous sommes marseillais, pneu crevé un dimanche. Le directeur de la station nous dit qu'il ne peut rien faire car il est seul et doit surveiller sa station. Mon mari réfléchit. Je lui dis vient on s'en va. Il reste immobile et silencieux puis dit à au patron: si vous vous installez là, en lui montrant un emplacement vous pouvez réparer mon pneu et surveiller votre station.
et le pneu fut rapiécé alors que nous ne risquions pas de devenir des clients.
Je pense que mon enfance dans le Cantal, y est pour beaucoup.
SupprimerNous étions souvent confrontés à des situations "compliquées".
Certains travaux de la ferme, avec ses aléas et ses impératifs, les conditions climatiques de l'hiver, les pannes mécaniques lors de la fenaison, etc. Il ne fallait rien lâcher.
Tu relates l'épisode avec une grande qualité d'écriture
RépondreSupprimerdécidément tu as beaucoup de talents !
J'avoue que ces dernières années je suis plutôt content d'habiter en plaine, compte tenu des évolutions climatiques.
Je me réjouis que tu soulignes les comportements humains positifs et généreux des personnes à la fois dans des situations exceptionnelles, mais aussi dans l'ordinaire des jours.
Depuis que je suis en fauteuil roulant électrique, mes déplacements sont parfois un peu compliqués. Monter et descendre l'engin de 120 kg avec une grue de coffre dans mon Espace Renault en ayant en hauteur qu'1,5 cm de manœuvre, ou m'embourber quand je prends des chemins de terre. Il y a toujours des bonnes volontés pour dire :
« je peux vous aider ? » Et il arrive que ce ne soit pas de refus. Quand c'est inutile je décline toujours en remerciant chaleureusement de l'intention.
On entend tellement de choses contraires à longueur de jour dans les médias… comme si le monde n'était fait de plus en plus que de crapules épouvantables.
Merci pour cette épisode qui remet les choses à leur place.
Ce billet vient en rééquilibre du précédent...
SupprimerJe crois que les hommes ne sont pas "mauvais" dans l'ensemble, ils le deviennent, par bêtise, égoïsme, jalousie, ou toutes autres "qualités" de sales bêtes, comme disait ma maman.
J'avoue que nous avons eu beaucoup de chance, dans l'histoire. Probablement que plusieurs planètes devaient présenter des signes d'alignement...
Mes voisins sont des gens bien. Alors que la pelle mécanique ne pouvait accéder à une partie trop éloignée de la maison, ils proposèrent qu'elle passe par chez eux en sachant pleinement qu'un engin de vingt tonnes aurait occasionné de gros dégâts, presque aussi important que les miens. J'ai refusé.
C'est en effet dans ces moments-là que l'on découvre l'altruisme et la générosité des gens, et ce ne sont pas toujours ceux auxquels on pensait, c'est vrai. En tous cas, tu as dû avoir très peur, heureusement que tout s'est bien terminé (sourire).
RépondreSupprimerBeau week-end à toi, Xoulec. Bises de ma campagne sous la pluie.
"La gadoue, la gadoue, la gadoue, la gadoue..." Chanson d'actualité (sourire)
Comme je le dis plus haut, la peur de tout perdre s'est mêlée au fait de n'avoir plus rien à perdre. C'est probablement ce qui fait se "soulever des montagnes"...
SupprimerJ'avoue qu'une fois la pelle garée en bas, dans le chemin, la tension est retombée et nous étions "vidés".
Monsieur O sécurisa la maison en creusant une sorte de canal d'écoulement. La boue s'écoula sur trente mètres avant de traverser le chemin, et de continuer un peu plus.
Le dernier coup de godet fut pour "rouvrir" le chemin...
Il revint six mois plus tard, pour faire un terrassement digne de ce nom. deux-cent-cinquante m3 de terre furent évacués.
Oup's ! Bises de ma campagne à la ville, très très arrosée ce vendredi.
SupprimerSacrée nuit aussi glaçante que gadouilleuse, que tu n'es pas près d'oublier!
RépondreSupprimerC'est toujours dans les moments d'épreuve que se dévoile le vrai caractère des gens, qu'ils soient "amis" ou inconnus. Et c'est dans ces mêmes épreuves qu'on s'aperçoit que la solidarité humaine, loin de n'être qu'un vain mot, est bel et bien réelle et palpable.
Quant aux faux "amis" qui se dérobent et vous lâchent à la première contrariété, autant s'en tamponner ;-)
Bise de Normandie entre soleil et crachin
Je dois dire qu'après cet événement, j'ai mis un peu de distance...
SupprimerPendant les trois ou quatre années qui ont suivi, lorsque qu'il se produisait un "arrosage" comme celui de vendredi (120 l/m²≃) je ne dormais pas, ou très mal.
Le maçon, monsieur B.... n'a pas voulu de "dédommagement" pour sa peine ; l'année suivante, je lui fis totalement confiance pour ériger un mur de soutènement.
Une façon supplémentaire de remercier.
Des bises d'Auvergne, enfin ensoleillée☀️
Quel réveil! Et quel bel élan ça a créé, oui. Je trouve aussi qu'en certaines occasions on voit qui "se met en quatre" pour nous aider, l'instinc de secours est alors très fort, on n'abandonne pas, on motive et implique tout qui peut intervenir. J'ai souvent vu ça, ça surgit on ne sait pas toujours comment mais une seule personne touchée touche les autres et fait le miracle...
RépondreSupprimerC'est exactement ça, c'est l'instinct de secours qui commande, sinon, comment expliquer que tant de bonnes volontés se soient rencontrées, ce matin-là...
SupprimerComme je le dis à Alain, mes voisins étaient prêt à "sacrifier" une partie de leur "chez eux", pour faciliter le travail de la pelle mécanique.
J'ai refusé, mais je sais qu'ils l'auraient fait.
Oui, cet élan de solidarité faisait plaisir à voir, ou plutôt à sentir, parce qu'on a besoin de le ressentir. C'était très beau.
Que de tendresse et de délicatesse dans ce récit qui aurait pu être tragique et qui fut sans nul doute impressionnant.
RépondreSupprimerMoi j'aurais été dans une panique totale.
J'adore ton écriture.
https://www.youtube.com/watch?v=Zca5DzMFs-w
On ne peut savoir à l'avance comment on va réagir dans de telles situations... L'être humain est plein de ressources qu'il ne soupçonne pas toujours.
SupprimerIl est indéniable que ce jour-là, la chance fut de la partie.
Normalement, nous n'aurions pas dû être là.
Il est vrai que c'est dans le besoin que l'on reconnaît ses amis. Ceux-ci viennent pour les bons moments quand on les appelle, mais viennent pour les galères sans qu'on ait besoin de les appeler...
RépondreSupprimerJ'aime bien ton parti pris d'écriture : faire de ce terrain une chose vivante, malade, que l'on ausculte et à qui l'on s'adresse...
Je me souviens que mon oncle avait subi (enfin, sa maison) un « glissement de terrain partiel »
« Par ciel, par ciel...vous en avez de bonnes ! C'est plutôt par terre que ça se passe ! » avait-il répondu à l'ingénieur venu constater les dégâts.
Bisous très tardifs mais sincères
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Je constate que ton oncle avait de l'humour ! :)
SupprimerPour moi, point d'ingénieur, même si ce fut aussi, partiel et par terre. ;)
J'avais prévu de faire ces travaux, mais pas dans l'urgence...
La vie m'avait appris à utiliser le mot "ami" avec précaution, dans le cas présent, elle me le confirmait.
Bises Puydômoises
Ce que tu dis à propos des amis peut aussi s'appliquer à la famille.. J'en veux pour preuve cet anniversaire de mariage où le champagne qui coulait à flots (enfin, petits flots) a vite laissé place à l'eau qui a envahit le sous sol. Tout le monde s'est vite retrouvé pieds nus, pantalons ou jupes retroussées, raclette et serpillières en main pour assécher, évacuer, écoper pendant des heures ; tous....sauf Monsieur l'ingénieur des Ponts et chaussées qui, bras croisés, faisait mine de surveiller la montée des eaux tout en donnant des directives et Monsieur le fonctionnaire trop fatigué par tant d'agitation. Ce sont des souvenirs qui marquent !!
RépondreSupprimerPourtant, un ingénieur des ponts et chaussées aurait été plus à même de mettre la main à la pâte...
SupprimerIl est vrai que, comme le disait mon père, nul besoin d'être ingénieur pour être ingénieux, ou encore cette autre : le travail (déjà) fait ne fait pas peur...
Quoiqu'il en soit, un anniversaire de mariage qui prend l'eau, ça marque...