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vendredi 19 janvier 2024

100 ans

Elle aurait eu 100 ans hier. 

Née dans une modeste famille de paysans, de gens du pays, de gens de la terre, elle débuta sa vie sans aller à l'école. Atteinte d'une malformation presque anodine de nos jours, elle fut immobilisée dans son lit. Le bassin contraint par un moulage de plâtre de l'invention d'un médecin qui, selon la presse de l'époque, faisait des miracles ; plus modestement son métier. Pour cela, son père alla à pied, le quérir à plus de cent kilomètres de sa ferme. Elle intégra sa première école à l'âge de dix ans. Entre temps, elle avait appris à lire, à écrire, à s'évader de son lit dans les livres, à compter sans compter. 

Son papa fut un très bon professeur, et lorsqu'elle rejoignit enfin l'école, elle fit l'admiration de son premier instituteur. Elle était première en tout. Sa matière préférée fut tout naturellement le français. Et tout aussi naturellement, elle voulut devenir institutrice, jusqu'à ce qu'une enseignante* lui tînt à peu près ce langage : « Mademoiselle B..., ne vous faites pas d'illusion ! Croyez-vous que l'éducation nationale veuille s'embarrasser d'handicapés ? » 

Cette phrase fut comme un coup de poignard, asséné par une femme, qui ,visiblement, ne savait pas à qui elle avait affaire … Elle ne fit que redoubler sa détermination. L'adolescente aux yeux clairs, quelle était, y serait arrivée, si un événement de taille ne l'en avait empêché... D'ailleurs, il ne pouvait y avoir qu'une deuxième guerre mondiale pour lui barrer le chemin. Sans baccalauréat, elle ne pourrait devenir l'institutrice qu'elle rêvait d'être. Elle aima la terre et la cultiva de toute sa force de caractère. Elle avait une belle plume, et j'aime à croire que j'en ai un peu héritée. Il y a quelques années, à la demande d'une de ses filles, elle écrivit l'histoire de sa vie, à partir de son plus vieux souvenir. C'est un précieux manuscrit de trente pages, dont nous, ses enfants, avons toutes et tous un exemplaire. 

Elle s'est éteinte quand frémit le printemps. Elle aurait eu cent ans hier, ma mère.

 

 

 

Rectificatum 😉​  Visiblement, je n'ai pas hérité complétement de sa plume... J'ai écrit pour moi, et je n'ai pas pensé une seconde que ma dernière phrase pouvait induire une mauvaise compréhension de mon hommage.

Dans ma tête, je pensais : « Elle s'est éteinte quand frémissait son quatre-vingt-huitième printemps. Elle aurait eu cent ans hier, ma mère. »

*Précisium 😉​  Ma mémoire défaille un peu, L'enseignante qui lui tint cet odieux langage n'était ni plus ni moins que la directrice de l'école normale.

26 commentaires:

  1. Quel courage, quelle détermination ! Quel bel hommage ! sois tranquille, rien ne se perd vraiment. Sa plume, en toi, nous fait revivre plein de jolis souvenirs. Une vie de labeur, c'est vrai, mais mise à profit pour transformer le pire en un des meilleurs atouts. Tu peux fièrement porter la flamme de l'esprit de ta maman.

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    1. Merci Délia, j'essaie de m'y employer. La vie à la campagne était une vie assez dure, mais je ne t’apprends rien... Elle lui avait forgé un caractère bien trempé. Ma petite sœur m'a souvent dit que j'avais sa plume, quand je relis ses mémoires, en effet, il y a des ressemblances.

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    1. Merci Ambre, il y a longtemps que je voulais écrire un truc. Elle aurait eu 100 ans ce mois ; c'était l'occasion. Nous y avons tous pensé.

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  3. Merci pour ces souvenirs. Ils me touchent, et l on se dit que l on aurait aimé connaître cette femme. Son parcours vous a bien armé pour la vie.
    Bonne continuation

    Bicounette87

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    1. Bienvenue ici. Je crois que vous avez déjà posté un commentaire chez moi ; malheureusement qui est resté anonyme. Je n'ai pu adapter ma réponse.
      Pour ne pas faire écho à un discours de ces jours-ci..., je préfère dire que ma maman nous a fourni l'équipement adéquat pour traverser la vie.
      Elle pouvait être dure, avait du répondant, ne se laissait pas faire et surtout, avait les mots pour cela. Elle était respectée, mais aussi crainte. Ce qui forçait le respect, justement.
      Bonne semaine

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  4. Beaucoup d'émotion à te lire. Comment ne pas aimer, ne pas être fier d'une telle personne à plus forte raison lorsqu'on parle d'elle en disant -maman- . Elle mérite bien ces lignes où l'on perçois amour, respect et admiration.
    Bonne journée Xoulec.

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    1. De l'émotion, j'en ai eu en lisant pour la première fois son manuscrit, et chaque fois que je l'ai entre mes mains, que je le feuillette, l'émotion est au rendez-vous.
      Bonne semaine, amicalement

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  5. Petite souillon de sa famille, handicapée aussi, souffre-douleur souvent, maman a pourtant réussi son certificat d'étude brillamment. Elle aurait pu continuer, elle aimait apprendre et elle avait une belle écriture très soignée mais sa mère avait toujours besoin de plus d'argent donc elle a intégré l'usine à quinze ans. Depuis quelques années je pensais faire une grande fête pour ses quatre-vingt ans et mes soixante, sa disparition ne nous l'a pas permis. Jamais je n'ai eu d'anniversaire aussi triste, sans elle...mes condoléances à vous.

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    1. Merci, mais c'est là que je comprends que je n'ai pas vraiment sa plume, d'où mon rectificatum (c'est du latin de mon cru.)
      Nous avions 41 ans et un jour de différence. Ce qui fait que mon anniversaire était aussi presque le sien. Celui qui a suivi sa disparition a été le premier aussi triste, elle me manquait terriblement. Je me suis consolé en m'orientant, sans vraiment le savoir, vers ce qu'elle aimait : la lecture et l'écriture.
      Je compatis à votre douleur.

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  6. C'est avec grande émotion que j'ai lu ton texte.
    Le destin de ta mère qui fut cultivatrice au lieu d'être maitresse d'école.
    J'ai sur mon bureau le témoignage de mon grand-père poilu , la guerre de 14-18 les tranchées, lui aussi voulait être instituteur, il n' a pas pu, mais il aimait beaucoup les livres, la poésie.....
    Je te souhaite une bonne année

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    1. J'ai toujours aimé ce mot : cultivateur/ cultivatrice. C'était ce qu'ils étaient. Cette appellation figurait sur tous les documents officiels.
      Son père, mon pépé, avait traversé la guerre dans l'est de la France, sans une seule égratignure. La grippe espagnole emporta sa femme, selon les usages de l'époque, il aurait dû rester "veuf". Ce qu'il ne fit pas ; au diable les usages à la c.. Il était cultivé, ouvert, lisait le Canard enchaîné.

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  7. Que c est beau, tu es vraiment doué pour transmettre ce genre d'émotion et finalement on t apprécie tous beaucoup mais tu as de qui tenir et apparemment ton fils a une grande chance.

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    1. Merci chère Eve. Transmettre les émotions, j'ai compris cela un jour, alors que j'étais jeune homme. Dans la vie de tous les jours, je montre moins, ou pas du tout. J'ai ma pudeur et une protection à toute épreuve : un "costume d'ours". Un truc que je me suis confectionné au fil du temps qui me donne un côté un peu bourru, qui caractérisent parfois les Cantalous.
      Je m'en sers de moins en moins.
      Bises d'un Cantalou

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  8. Un magnifique hommage que tu rends à ta maman, Xoulec, elle serait fière de toi. Bien sûr que si, tu as hérité de sa plume, il y a tant d'émotion et d'amour dans tes mots, ce n'est pas si facile que cela à l'exprimer et à le faire ressentir, et tu l'as fait ! :-)
    Bonne fin de soirée, Xoulec. Bises bassoises.

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    1. Je me souviens qu'il y a longtemps, j'avais rédigé pour mes parents, un courrier administratif pour les services fiscaux. Je lui avais fait lire, j’attendais comme un élève devant son instit. La sentence tomba : "des fautes, mais c'est pas mal tourné". Ce qui était chez elle un compliment.
      Bonne soirée, bises puydômoises

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  9. Oui un très bel hommage à celle qui t’a fait le nez, comme disait ma grand-mère, qui avait toujours des expressions bien à elle.
    Que tu aies hérité d’une belle plume, rien n’est plus vrai !
    Et elle s’améliore d’année en année. Tu te bonifie comme un bon crû.
    Merci pour ce beau texte.
    Bises pluvieuses
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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    1. Merci ma Célestine, je ne peux qu'avoir hérité. C'est la seule explication que je vois, vu mon passé littéraire et scolaire... Mais c'est un travail colossal que j'ai commencé chez toi, grâce à ton blog, enfin, grâce à toi.
      Je n’ai jamais entendu cette expression, mais je te livre une part de ce qu'a écrit ma maman, dès l'introduction de ses souvenirs.

      « J'ai été une petite fille comme toutes les petites filles du monde, blondinette et frisée, avec une fossette au menton, que ma grand-mère appelait la marque de fabrique. Je crois que je l'ai passée à Didier car je ne l'ai plus. Je ne sais pas si lui-même l'a conservée. »

      Je me devais d'écrire un texte sur ma maman. On a pas tous les jours cent ans !
      Bises chaleureuses

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  10. Que de beaux témoignages pour accompagner ce précieux texte. Respects !

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    1. Mon pépé des Bastides, lorsque l'hiver venait, partait pour Paname où il exerçait la profession d'étameur. Pour mettre du beurre dans les épinards.
      Pour y aller, rien de plus simple. Il prenait le train à la gare, située à 4 kilomètres du village, un direct pour la capitale. Même mu par la vapeur, ce vieux train allait plus vite que notre Paris/clermont de triste renommée...
      Bonne soirée

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  11. Merci Xoulec pour cette belle page de l'histoire de votre maman et de votre histoire bien évidemment . Elle fut persévérante malgré les difficultés et les quolibets de certains . Cent ans d'une longue et riche existence. Je lui tire mon chapeau.

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    1. Bienvenue sur mes pages.
      Un tempérament forgé par la vie dure de la campagne d'alors. Mais un tempérament qui ne se forge pas dans la douceur. En lisant ses souvenirs couchés sur papier, j'ai ressenti ce coup de poignard qu'elle avait reçu soixante ans plus tôt. Le pouvoir des mots, la force de son écriture.
      Je me suis probablement mal exprimé en laissant croire que ma maman avait atteint l'âge honorable de cent ans et je m'en excuse.(voir mon rectificatum) Elle s'est éteinte au printemps de sa quatre-vingt-huitième et dernière année. Quant au journal de ses souvenirs, elle l'écrivit à l'âge de quatre-vingts ans. Confiante en l'avenir, elle écrivait : « je suis à l'automne de ma vie en espérant que ce sera un été indien ».
      Bon week-end

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  12. Ta maman fait partie de ces gens qui, lorsqu'ils doivent porter un handicap toute leur existence, font en sorte de ne pas le subir mais d'en faire un levier pour toute leur vie. (Disons que je parle un peu d'expérience). De mes faiblesses je tire des forces.
    Tu as reçu tout cela en héritage positif, en partie par osmose, et surtout parce que tu as pris ta vie en main comme elle l'a fait.
    Quant à la directrice de l'école normale, ses propos ne m'étonnent guère, surtout à l'époque. Aujourd'hui rien n'est changé sur le fond, mais on sait mettre les formes pour rejeter les personnes porteuses de handicap. Ça marche beaucoup mieux cette hypocrisie dégueulasse. Beaucoup mieux. Ainsi je n'ai plus, comme autrefois, de « carte d'invalidité », mais une « carte mobilité inclusion » : on ne pouvait pas trouver une meilleure imbécillité pour m'exclure encore plus facilement… magnifique réussite bureaucratique !
    Je rends hommage à ta maman et ce que tu bondis me touches beaucoup. Merci de l'avoir fait.

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    1. Il n'est pas facile de convertir un handicap en force. Ma maman n'a jamais révélé à ses parents les propos de cette directrice ; elle avait honte. Elle a pris sur elle. Puis la guerre est arrivée, les élèves furent renvoyés chez eux, les examens repoussés, puis annulés et une autre vie a pris le dessus...
      À 82 ans, elle s'est fait opérer pour la deuxième fois d'une hanche déjà opérée. Chirurgien et anesthésiste n'étaient pas très chauds. Elle signa toutes les décharges nécessaires, car elle voulait garder sa mobilité chèrement acquise.
      82 ans de force de caractère lui permirent de remarcher (presque) normalement. Tout comme toi, elle ne supportait pas cette façon de ne pas appeler un chat un chat. Tout comme mon père, elle avait le mot juste ; j'ai le souvenir d'un savon qu'elle passa à deux olibrius de la SAFER...
      Je pressens l'émotion qui a dû être tienne à la lecture de mon hommage.

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  13. Chacun a la force, ou ne l'a pas, de faire face aux propos déplacés ou insultants. C'est un très bel hommage à ta mère. J'ai travaillé pendant 15 ans 3/4 dans une association d'handicapés et j'ai vu toutes sortes de handicaps, mais surtout des personnes "comme tout le monde" malgré leur handicap. Bon après midi , bises;

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    1. Je confirme, ma maman était comme tout le monde ; avec un truc en plus : une autorité naturelle.
      Je n'allais pas encore à l'école qui était située à 50 mètres de chez nous. Je "profitais" des récréations, qui semblaient durer une éternité. En fait, c'était le cas. L'institutrice d'alors, n'avais aucune autorité et n'était pas maître de ses élèves ; ça courrait, jouait, se poursuivait jusque dans les près avoisinants. Lorsque ma maman jugeait que la récré n'avait que trop durer, sachant que la maîtresse ne savait/pouvait se faire respecter, elle montait remettre de l'ordre dans la mauvaise troupe. Sans vraiment user d'une voix forte, elle se faisait entendre, et surtout comprendre, surtout par les plus récalcitrants. Je me souviens que ça filait droit.
      J'aurais bien aimé aller à cette école-là. ;-) L'année suivante, je faisais ma première rentrée des classes, avec une nouvelle institutrice.
      Bon week-end, bise

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