présentation

dimanche 31 octobre 2021

Les vieux

 

Elle s’appelait Maria comme d’autres s’appelaient marguerite, Yvonne, Philomène, Sidonie ou Berthe. J’en oublie plein d’autres, de ces vieilles femmes qui peuplaient mon village. Vieilles, pas vraiment ! Une soixantaine d’années, tout au plus, les séparaient du jour de leur naissance, mais elles en paraissaient le double, dans nos yeux d’enfants. Le travail très dur les avait froissées comme des journaux du temps passé. La tenue vestimentaire n’ajoutait rien à l’affaire, le noir était à l’honneur, si bien que nous imaginions qu’elles pouvaient être des sorcières sans balais.

-   Marguerite avait des cerises sur son chapeau, elle se faisait croire que c’était toujours l’été.

-   Sidonie était d’une curiosité malsaine, de celle qui amadoue les enfants pour savoir ce que trament les parents.

-   Berthe, je crois, n’avait pas de grands pieds, mais nous semblait être plus douce que ses congénères. D’ailleurs, nous nous n’y trompions pas. Pour les menus travaux que nous lui dispensions, elle nous payait rubis sur ongle. Des gâteaux qu’elle faisait spécialement, un paquet de gaufrettes ou alors, ces petits beurres au doux nom de « match », au goût jamais égalé ailleurs que chez elle.

-   Maria, c’était différent…

***

Elle était un petit bout de femme, animée d’une énergie débordante. De très tôt à très tard, elle s’activait. En fait, elle ne s’arrêtait jamais. Ses nuits ne devaient pas durer plus de quatre ou cinq heures. Elle était tellement occupée, qu’elle n’avait pas le temps d’être malade, ni de contracter la grippe. C’est dire ce qu’elle aurait fait du Covid… Il était impossible de lui donner un âge, tant elle paraissait ne pas en avoir. Un visage buriné, bruni par le soleil, noirci par les fumées du temps et les trente-sept misères de la vie d’alors dans un cantal quasiment sous-développé, était creusé de rides profondes, cérusé à la manière d’un vieux meuble patiné par le temps. Sans son foulard, Maria arborait une coupe de cheveux qui aurait laissé plus d’un coiffeur dubitatif… Je pense qu’elle devait se les couper elle-même. Ce n’était pas folichon, mais c’était fonctionnel. Il suffit, qu’avec mes frères et sœurs, nous évoquions « une coupe à la Maria » pour que nos souvenirs  reviennent intacts. Quand elle se rendait aux divers marchands ambulants, une meute de chien, tout aussi noirs qu’elle, l’accompagnait. Ainsi escortée, dans un accoutrement à faire peur un soir d’Halloween, elle semblait bien loin de la jeune fille de dix-sept ans qu’elle fut lorsque celui qui était alors son mari, l’avait enlevée pour vivre avec et élever celui qui s’appellerait quelques mois plus tard, René.

Les vieux, c’est bien connu, ne parlent plus, ou alors parfois du bout des yeux ; c’est de mon père que je tiens cette histoire. Quand même, ces vieux qui peuplèrent ma jeunesse, même si ils avaient tous l’âge de la sagesse, ne l’avaient pas toujours été, sage !

 

*** : photo prise quelque part en pays catalan

29 commentaires:

  1. Tu écris bien, Didier, on te l'a déjà dit, non ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Même ma petite sœur me le dit, mais je doute souvent, pour ne pas dire toujours.

      Supprimer
  2. J'adore cette chanson de Brel
    j'adore Brel

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Plus jeune, je n'étais pas très fan. Pour moi, c'était un vieux, enfin, j'veux dire, un chanteur d'une autre génération ; pas la mienne. Mais je ne suis pas fermé, je connais .

      Supprimer
    2. Bonjour Didier
      qu'est-ce que tu écoutais, alors ?

      Supprimer
    3. Ado, je n'écoutais rien ni personne en particulier ; les artistes de variétés, sans vraiment de préférence. Puis j'ai été fan, ici, clic tout en écoutant Renaud, Lama, Souchon et autres auteurs/compositeurs.

      Supprimer
    4. Bonjour Didier,
      je crois avec modestie tout connaître de Sardou ! Il y a tellement de chansons que j'aime de lui que j'aurais du mal à toutes les lister ... ce qui ne gâche rien, c'est que c'est un homme éminemment sympathique (c'est mon opinion, et je la partage ! lol)
      Tu le connais aussi en tant que comédien, je suppose ?
      Bonne journée !

      Supprimer
    5. Comédien ! Les deux ou trois films, pas terribles à mon sens. Surement meilleur comédien au théâtre.
      Ben moi aussi, en toute modestie, pour les chansons, je crois que je les connais quasiment toutes. Mais je n'écoute plus.

      Supprimer
    6. Tu auras peut-être reconnu un bout de paroles d'une chanson, que je lui ait emprunté...

      Supprimer
  3. Ton texte est superbement évocateur de toute une époque, celle de mon enfance et de ma jeunesse. Comme j'étais le petit dernier dans la quasi-totalité de ma famille élargie, pour moi : tous les adultes étaient des vieux !
    Même si j'entendais parfois mon père dire : « celui-là il est vieux avant l'âge ». D'ailleurs quel était l'âge officiel où on entrait dans le clan désespérant des vieux ! ?
    Tes descriptions sont d'une grande justesse et de qualité littéraire, ce qui ne fait qu'ajouter aux côtés évocateurs du propos.
    N'empêche, il y a toujours eu des petits vieux/vieilles qui ont su nous prendre contre leurs cœurs et nous enlever nos chagrins d'enfants.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ton enfance est presque la même que la mienne. Je suis l'avant-dernier d'une famille nombreuse, et pour moi aussi, les grands étaient tous des vieux.
      Les vieux de mon enfance, étaient forcément plus vieux que mes parents, qui n'étaient pas vraiment jeunes...
      Il y a une relation particulière avec les petits vieux, les petites vieilles qui savaient nous consoler d'un chagrin d'enfant. Sur eux, s'affiche une sagesse qui inspire une confiance différente de celle des parents.
      Des vieux de ma famille, je me souviens de mon pépé de la Bastide. C'était un homme bon et cela se sentait en lui.

      Supprimer
  4. Que c'est joliment dit et si bien décrit, j'ai l'impression de me retrouver il y a bien des années en arrière à Menet où je n'imaginais même pas possible qu'un jour je puisse avoir leur âge. Et les papis avec leur blouse noire, les sabots, la casquette, la canne et le mégot.
    J'avais oublié ces aieux. merci

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour les papys, les pépés, tu oublies le traditionnel béret basque, plus que la casquette ! Et le fameux "bourgeron", une veste de travail tout en douceur de moleskine.
      Je m'en suis procuré une, pour retrouver cette "sensation", et c'est mon fils qui l'utilise....
      Merci pour le « joliment dit », ça me regonfle le stylographe.

      Supprimer
  5. C'est touchant d'évoquer les "vieux disparus" qui ont laissé un petit air de quelque chose derrière leur souvenir. Nous, c'était "Didine", Géraldine, une vieille demoiselle vêtue de long satin noir, avec un ruban et un camée autour du cou et un chignon sur la tête, épais comme un petit pois. Des yeux bleus un peu globuleux et très candides. Sa maman, jeune fille de la belle société, avait fugué avec le jardinier (et non, ce n'était pas Lady Chaterley :) ) qui, ma foi, était bien bel homme :sa photo, vieux dans la serre, me le montrait comme le portrait craché du roi Léopold II, donc je lui trouvais bien belle allure...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y en aurait tant d'autres, de ces vieux disparus, qui auraient pu faire l’objet d'un billet. Mais là, je me suis arrêté sur Maria, et sa coupe de cheveux.
      Quoi ? Avant d'être roi, Léopold II était jardinier ! :-)

      Supprimer
  6. Coucou. Magnifique portrait d'un petit bout de femme. J'ai parlé d'une vieille amie dernièrement sur mon blog. Elle m'a accompagnée pendant des années jusqu'à ce qu'elle se flétrisse définitivement. Comme elle me manque! Bises alpines émues.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Coucou Dédé. Il me semble bien que j'ai lu ce billet. Je me suis abstenu de commenter ; j'ai senti ton émotion, et je n'ai pas voulu y ajouter la mienne. Parfois, j'aime bien être discret.
      Bises du massif central

      Supprimer
  7. Moi aussi j'ai connu une Maria, mais très différente de la tienne. Maria était la bonne du curé, et le curé était un frère à mon père, il était mon parrain. Maria était toute petite et menue, très discrète aussi, une petite souris, elle était d'une infinie gentillesse. Cela remonte au moins à plus de 40 ans, et sans avoir de photo d'elle, je la revois encore très bien.
    Tu parles très bien de ces "vieilles" personnes qui en fait, n'étaient pas si vieilles que cela, mais du haut de nos 10 ans, si, elles l'étaient.
    Joli billet, Xoulec. Bonne soirée, bises bassoises.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est peut-être le propre des Maria, d'être menues !
      La nôtre était redoutable lorsqu'elle poursuivait, armée d'une fourche, les chenapans qui lui « drouillaient » l'herbe de son pré. J'veux dire les chenapans qui aplatissaient l'herbe de sa fourragère. Son pré, attenant à l'école communale était une sorte d’extension de la cours de récréation...
      Bonne semaine, bises puydômoises

      Supprimer
  8. Il me semblait bien avoir laissé un commentaire hier mais je ne le vois pas. Donc je recommence. Je disais hier que cet hommage à ces petites vieilles m'a beaucoup émue. C'est un trés beau texte qui les rend belles. Elles le méritent, c'est avec un certaine nostalgie que je pense aussi à elles, à eux devrais je dire. Leur souvenir nous façonne un peu et nous leur devons tant. Nos vieux, car ils l'étaient sans avoir d'âge, voilà des mots plein de respect.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as écrit ton commentaire dans le formulaire de contact, en bas de la page. Je t'ai répondu dans un mail. J'espère que tu l'as reçu.
      Nos vieux faisaient partie de notre environnement, du paysage. Il n'y avait pas encore d'EHPAD...

      Supprimer
  9. Une belle évocation de nos anciens, poétique, pleine de tendresse.
    Ils ont tapissé notre mémoire de moments rassurants.
    Le bonheur d'un temps que la vie d'aujourd'hui gommerait sans état d'âme si nous ne cultivions pas ces souvenirs uniques.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour "la belle évocation". Des souvenirs d'une autre époque, qui me sont revenu en mémoire. Les temps ont changé, les "vieux" aussi...

      Supprimer
  10. Très beau texte, très émouvant et en même chargé de poésie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, les compliments font toujours plaisir et je ne sais pas reconnaître si c'est justifié.

      Supprimer
  11. Zut j'ai omis de placer le substantif temps après même.

    RépondreSupprimer